Le Hartmannswillerkopf. Coup de foudre (3/8)

Mardi 28 juillet 2015. Cernay-le HWK-Altenbach
Distance : 18 km
Dénivelé positif : env. 550 mètres
Paysages : vallée de la Thur puis montagne. Vue sur Mulhouse, Bâle, le Rhin, la centrale de Fessenheim depuis le sommet du HWK, et même la cathédrale de Strasbourg,
Météo : beau temps, pluie en soirée
Forme : excellente, fatigue

Louis Scheromm

Louis Scheromm

Louis Scheromm, électricien chez EDF aujourd’hui retraité, a commencé à s’intéresser à la guerre 14-18 par la haute-tension. La tension l’a menée sur le site du Hartmannswillerkopf (HWK), un éperon rocheux au sud du massif des Vosges qui culmine à plus de 900 mètres. Coup de foudre.
Les Allemands, qui tenaient l’Alsace et occupaient le versant est du HWK, y ont tiré dès le début de la bataille, en décembre 1914 (la bataille a duré jusqu’en mars 1916) une ligne électrique alimentée par la centrale hydraulique d’Ölten en Suisse, en 55 000 V jusqu’à Guebwiller en contrebas, puis en 5000 V jusqu’au front sur les sommets.

Téléphérique (source : Louis Scheromm)

Téléphérique (source : Louis Scheromm)

Celle-ci faisait fonctionner plusieurs téléphériques avec nacelles qui acheminaient le matériel de construction des tranchées et fortifications, une dizaine de compresseurs à air comprimé pour les marteaux piqueurs, et d’énormes projecteurs pour observer les environs. Dans les tranchées allemandes, contrairement aux françaises situées vingt mètres plus loin, on avait l’électricité.

Les Allemands ont même utilisé le courant comme arme fatale, tirant un câble jusqu’aux lignes barbelées de la première tranchée française…jusqu’à l’électrocution d’un soldat. L’état major français s’est bien gardé d’ébruiter l’accident, le corps du soldat a été évacué et autopsié de nuit. La tranchée a été surnommée la « tranchée électrique ».

Station à air comprimé

Station à air comprimé

Louis Scheromm m’a conduite ce matin là à travers les dédales des lignes de tranchées françaises et allemandes, sur l’ensemble des versants du HWK… un impressionnant labyrinthe d’abris méthodiquement construits (surtout du côté allemand, en béton armé) et parfois incroyablement conservés au milieu de la forêt et des chevreuils.

Abri allemand

Abri allemand

Tranchée

Tranchée

On y croise des restes d’abris équipés de cheminée, pour lutter contre le froid qui l’hiver peut descendre jusqu’à -20°C, des cuisines, des abris de tireurs de mortier et même des restes de latrines.

Monument aux diables rouges

Monument aux diables bleus

Une statue rend hommage au 152è RI, également appelé diables bleus (infanterie).
Il s’agit pour moi d’un des plus beaux et plus riches sites de tout le front ouest (pour la partie que j’ai vue jusqu’à ce jour du moins), entretenue par la très active association des Amis du HWK depuis 1969.

Nécropole

Nécropole

On trouve à l’entrée du site une nécropole de plus de 1200 tombes françaises, dominée par une croix. L’histoire dit que plus de 30 000 soldats français et allemands y sont morts entre décembre 1914 et mars 1916 mais selon plusieurs sources, le chiffre pourrait être largement gonflé.
En fin d’après-midi, j’ai repris mon vélo que j’avais laissé à Cernay chez mes hôtes Emilie et Jean-Christian, pour filer à Thann en logeant la jolie vallée de la Thur, au milieu des vignobles.

Vignobles de Thann

Vignobles de Thann

J’ai retrouvé Biel, qui m’a rejoint pour la suite du voyage, (presque à dos de cigogne).

Gare de Thann

Gare de Thann

Nous avons ensuite grimpé les premiers monts des Vosges vers Altenbach, où nous avons passé la nuit à la ferme-chambre d’hôte des Ecureuils.

Le Kilomètre zéro. Point triple (2/8)

Date : Lundi 27 juillet 2015
Distance : environ 60 km
Paysages : plaines
Météo : nuageux, très fort vent le matin, pluie en Suisse mais pas en France
Forme : excellente

NB : des problèmes de connexion internet m’empêchent d’envoyer quotidiennement ces bulletins d’information… Excusez le décalage !

« Ici, on mesure la relativité de la notion de frontière », m’explique André Dubail, président de l’association des Amis du Kilomètre zéro et co-créateur du sentier du même nom.

La clairière et la borne frontière entre la France et la Suisse

La clairière et la borne frontière entre la France et la Suisse

Carte de la région

Carte de la région

Nous sommes côté suisse, dans une clairière à l’orée d’une forêt de sapin, devant la borne frontière avec la France. A gauche, se trouvait le front français et quelques dizaines de mètres à droite, le front allemand. A côté de nous, se trouve l’abri des gardes suisses qui, pendant la guerre de 14, veillaient jalousement, mais pacifiquement, qu’aucun des deux camps ne viennent empiéter sur leur territoire (voir la carte)

Poste de garde suisse

Poste de garde suisse

A partir de 1914, ce lieu, situé à cheval sur la commune de Pfetterhouse (France, Haut-Rhin) et de la commune de Bonfol (Suisse, canton du Jura), marque le début du front franco-allemand de la guerre 14-18. Il évoluera peu pendant toute la durée du conflit. C’est le point de départ symbolique d’une ligne qui s’achève à Nieuport, en Belgique, où j’étais en août dernier.
Mais l’histoire est encore plus facétieuse et s’est jouée pendant longtemps de la frontière. Les habitants ne s’y trompent pas et parlent encore aujourd’hui les mêmes langues : le français, en France et de ce côté-ci de la suisse francophone, mais aussi l’alsacien du Sungdau, un dialecte encore différent de l’alsacien parlé dans le Bas-Rhin. A la Pentecôte 1914, plus de 1000 Alsaciens, Suisses et contrebandiers ont ainsi festoyé ensemble dans la ferme du Largin, à quelques dizaines de mètres de la future ligne de front, côté suisse de la frontière.

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André Dubail me raconte une anecdote. Alors que la guerre faisait rage, un Suisse – radin comme souvent, selon lui – n’a pu supporter de voir la récolte de pommes perdue côté alsacien après la destruction d’une ferme. Ni une, ni deux, il s’est fabriqué un drapeau blanc, a franchi les barbelés et s’est faufilé le cœur battant pour chercher les fruits. Il est revenu sain et sauf, sous les « hourras » des deux camps, qui l’avaient observé scrupuleusement…

André Dubail

André Dubail

Ajoutez à cela que cette partie sud de l’Alsace était depuis 1871 annexée par l’Allemagne. Reconquérir l’Alsace était un des premiers objectifs (et obsession) des Français à l’époque. Une partie a été « reconquise » comme le montre encore la carte à partir de 1914. Les Alsaciens ont donc été, du fait de l’annexion allemande de 1871, largement enrôlé dans l’armée allemande (180 000 environ). Une partie seulement (environ 18 000) a « déserté » pour passer dans l’armée française.

Et si je vous dis que ce coin-là de la Suisse appartenait à la France avant 1816, vous me suivez ?

Triple poste d'observation  allemand

Triple poste d’observation allemand

André Dubail, ancien professeur de lettres classiques et inspecteur général, a consacré une grande partie de son temps, depuis 1978, à la mise en valeur de ce coin du front. Le sentier de mémoire du Kilométre zéro a été inauguré en 2014 seulement. De nombreux vestiges restent à protéger, de la destruction du temps et des hommes, alors que plusieurs d’entre eux ont disparu lors de la construction d’un golf dans la commune voisine.

Le cœur plus internationaliste que jamais, j’ai repris ma route en début d’après-midi, direction Cernay.

Cigogne

Cigogne

J’ai pu profiter de superbes pistes cyclables le long de l’ancienne voie de chemin de fer Pfetterhouse-Dannemarie, aperçu mes premières cigognes à Seppois, longé le canal du Rhin, avant de rejoindre Cernay au pied des Vosges.

Canal du Rhin

Canal du Rhin

A Cernay, j’ai été hébergée par Emilie, Jean-Christian et leurs deux filles, membres du réseau de Warmshower et cyclistes plus qu’avertis après trois ans de tour du monde à vélo. Encore une très belle rencontre (et en plus, ils avaient le très bon goût d’habiter en face du cimetière allemand).

A suivre demain : la visite du Hartmannswillerkopf